« La voie française », par Bruno Le Maire

Bruno Le Maire présente, tout en franchise, ses ambitions et les réformes qu'il souhaite mener pour moderniser le pays.

Bruno Le Maire est l’un des hommes politiques actuels français qui écrit le plus. L’année dernière, en 2023, a ainsi été publié Fugue américaine, un roman abordant la vie de Vladimir Horowitz. Avec la voie française, Bruno Le Maire renoue avec le livre politique. Cet essai, relativement court, pourrait être un commencement de programme électoral. Pour Bruno Le Maire, il s’agit de justifier certains choix qui ont été faits, notamment sur l’économie depuis la fin de la crise du Covid et d’annoncer de nouvelles réformes. Le ministre de l’économie nous décrit sa vision de la France et les enjeux auxquels elle doit faire face. S’il défend une certaine idée de la France, il est bien conscient que le pays se trouve à un point de bascule, ce livre doit nous alerter sur l’état de la France et sur la nécessité de poursuivre les réformes. On pourrait résumer son livre en deux mots : innovation et désendettement. Face aux différents défis auxquels fait face le pays, il est nécessaire de continuer à innover, et il est tout aussi nécessaire de réduire notre dette. 

Bruno Le Maire commence son livre par un constat et s’interroge sur la France et le monde d’aujourd’hui.  Il s’inquiète du communautarisme qui menace l’esprit des Lumières et de la contestation de l’ordre occidental. Il fait aussi le point sur sa vie personnelle, et son rôle dans la politique française, nous n’échappons pas à une certaine autocongratulation, mais celle-ci reste toutefois limitée. Il revient sur l’engagement des hommes et femmes politiques, et se définit avant tout comme un écrivain. Sur la politique, la polarisation des idées lui fait peur, notamment pour 2027. Pour lui, la tendance au repli dans les démocratie occidentales, est motivée par une plus grande aspiration à  la sécurité, notamment face aux changements toujours plus rapides du monde. 1989, et la chute du mur du Berlin n’ont pas mis fin à l’Histoire, les démocraties continuent à être remises en question. Bruno Le Maire insiste sur le fait que la démocratie n’est pas éternelle, comme le montre le récit autoritaire dans la guerre d’invasion que mène la Russie contre l’Ukraine. Face à ce repli, l’Europe doit pouvoir offrir une mondialisation plus juste.

Sa première partie se concentre sur le travail. Ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire veut remettre le travail au centre de la vie politique. Pour lui, il n’y a pas de secret, si l’on veut une France prospère, il faudra travailler plus. Les « 35 heures », la retraite à 60 ans handicapent l’économie française, et participent à son déclassement. Mais il n’y a pas de fatalité. Il refuse un chômage de masse, mais sait que dans les conditions actuelles, notamment  sans changement des dispositifs de formation et avec l’absence de mobilité géographique, nous ne pouvons aller en-dessous des 7% de chômage. Pour Bruno Le Maire, il est nécessaire d’ouvrir trois débats, le premier sur le travail des séniors, pour faciliter le maintien à leur poste, le second sur le travail des jeunes et enfin un dernier sur  la réforme du SMIC, pour éviter un nivellement par le bas des salaires. Bruno Le Maire ne remet pas en cause le principe d’un salaire minimum, mais son indexation sur l’inflation n’est pas liée aux gains de productivité. Il faut revenir sur notre modèle industriel de « middle cost » qui  a tiré les salaires vers le bas, et redonner de la valeur au travail, ce qui passe par des rémunérations plus élevées.

Bruno Le Maire n’hésite pas avancer l’idée d’une réforme de notre système de protection sociale. La France est déjà l’un des pays les plus redistributeur au monde, mais notre population vieillit, et notre système ne peut être conservé en l’état. Malgré ces dépenses, les Français ont l’impression que le système de protection sociale se détériore, notamment nos hôpitaux. Enfin ce système est avant tout financé par les classes moyennes qui se prolétarisent. Sur cette question, le ministre des finances préconise un transfert des contributions acquittées par les salariés vers une hausse de la TVA. Pour transformer le financement de notre protection sociale, Bruno Le Maire souhaiterait passer par le référendum.

Sa deuxième partie intitulées « L’écologie de production », s’intéresse à la nécessité d’une transition écologique. La décarbonation est nécessaire, mais cela ne passe pas par la décroissance, mais par la croissance verte. Et cela signifie une réindustrialisation du pays. La France ne doit pas dépendre totalement de ses partenaires étrangers. Car contrairement à la théorie de l’avantage absolu d’Adam Smith, les échanges commerciaux sont aussi dictés par la géopolitique. La France doit pouvoir donc être indépendante pour sa production. De consommateurs, nous devons devenir producteurs. Bruno Le Maire nous rappelle que cette réindustrialisation passe par un doublement de notre production électrique pour 2050. Nous devons aussi faciliter l’essor des entreprises vertes, par exemple en les excluant du principe de ZAN (zéro artificialisation nette adopté en 2021). Il nous faut aussi ne pas hésiter à protéger notre secteur des énergies renouvelables des autres puissances grâce à des subventions.

Pour réussir cette transition, qui a un coût, Bruno Le Maire veut faire appel aux fonds privés. Il doit être facile et avantageux d’investir dans la croissance verte.  

Une troisième partie a pour objet la nécessité de soutenir l’innovation en France. Celle-ci doit être accompagnée et certains freins doivent être levés, par exemple en encourageant les jeunes femmes à rejoindre des formations scientifiques, -Bruno Le Maire se prononce ainsi pour des quotas dans les écoles d’ingénieurs-. Il regrette là encore, que le secteur privé ne soit pas assez présent dans le financement de l’innovation qui repose en grande partie sur les efforts de l’Etat, la France se fait donc distancer par d’autres pays où les dépenses dans la recherche sont plus élevées. Pour Bruno Le Maire, nous dépensons trop dans la protection sociale mais pas assez dans l’avenir de notre économie.  Il faut lever des fonds, notamment dans l’intelligence artificielle pour reste indépendant face aux autres puissances dont les Etats-Unis. La France, l’Europe, ont raté la révolution du numérique, elles ne doivent pas rater la prochaine révolution, de l’intelligence artificielle. Bruno Le Maire dit y croire encore.    

Mais pour cela, la France doit s’en donner les moyens, ce qui passe par une politique volontariste de désendettement, qui fait l’objet d’un autre chapitre. Le Ministre de l’économie et des finances nous explique que la dette n’est pas mauvaise en tant que telle, mais que nous devons aujourd’hui s’engager vers une politique de désendettement, notamment parce que les taux d’intérêts ont augmenté et pour rester un partenaire audible au sein de l’Union Européenne, la France doit dépenser moins. Pourtant, Bruno le Maire ne remet pas en cause le « quoi qu’il en coûte » appliqué durant la crise du Covid. Cette politique a sauvé de nombreuses entreprises, mais aujourd’hui, nous devons arrêter de « dépenser trop tous le temps ». Le ministre nous alerte aussi d’une dégradation plus que plausible de la note de la France dans les prochains mois. Pour retrouver un équilibre, Bruno Le Maire insiste sur le fait qu’il ne doit plus y avoir d’indexation des prestations sociales, et dénonce le poids de notre modèle social.

Une cinquième partie s’intéresse à la culture, à l’identité. Non ce n’est pas que l’économie qui détermine une élection. Il revient sur ce qui fait la nation française et les menaces qui pèsent sur elles, le premier danger étant le fondamentalisme islamique.

Enfin, il termine son livre en insistant sur le besoin d’indépendance de la France et de l’Europe notamment dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine. Dans cette nouvelle mondialisation qui s’annonce, nous Européens, nous ne devons pas oublier de nous armer, militairement et industriellement, pour défendre notre liberté. Sur la scène intérieure, il faut plus de clarté pour combattre les extrêmes, ce qui passe aussi par un recours plus fréquent aux referenda. Et si François Mitterrand croyait aux forces de l’esprit, Bruno Le Maire crois dans la force de l’esprit français, qui permet de faire épanouir le pays.

Dans son livre « La voie française », Bruno Le Maire dévoile ses intentions pour les prochaines années, en tant que ministre de l’économie et des finances, et n’hésite pas à annoncer des mesures qui pourront sembler impopulaires. Oui, la France a un problème d’endettement et son système de protection sociale pèse sur notre avenir. Comment continuer à innover si nous dépensons toujours plus pour notre protection sociale et les intérêts de notre dette? L’écart se creuse avec les Etats-Unis mais aussi avec nos partenaires européens. Bruno Le Maire ne veut cependant pas se montrer alarmiste : les solutions existent, il faudra se montrer courageux pour les appliquer. C’est pour cela qu’il évoque le référendum. Bien sûr les choix qui devront être faits seront difficiles, car les Français sont attachés à leur modèle social, mais celui-ci ne peut être financé de la même manière aujourd’hui, notamment en raison du vieillissement de la population.

Un autre point important de » La voie française » est que pour son auteur, la mondialisation est en train de changer, celle-ci n’est plus dictée uniquement par des intérêts économiques, mais de plus en plus par la géopolitique. La France et l’Europe doivent être prêtes. Il s’agit donc de renforcer notre capacité industrielle pour être moins dépendant des acteurs non-européens. Il faudra donc de nouvelles mesures pour permettre aux entreprises industrielles de se développer sur le territoire français.

Bruno Le Maire est un littéraire, il l’écrit lui-même, mais fait l’effort de s’intéresser aux sciences afin de mieux comprendre et soutenir les innovations des acteurs français. Son livre contient de nombreuses citations et est relativement facile d’accès.  Cependant certains points sont vus rapidement et mériteraient une analyse plus approfondie. On peut ainsi regretter que Bruno Le Maire mette dans le même chapitre la menace du fondamentalisme islamique et les réseaux sociaux en particulier TikTok. Il faut reconnaitre à Bruno Le Maire une certaine franchise, oui la France peut s’en sortir, mais il faudra faire de nombreux efforts. Bruno Le Maire prend le risque de décevoir certains, mais propose une vision réaliste de ce qui nous attend. Comment ses réformes pourraient-elles être menées après les élections législatives des 30 juin et 7 juillet?

LE MAIRE, Bruno. La voie française. Paris: Flammarion, 2024.160 p.

Bruno Le Maire occupe les fonctions de ministre de l’économie et des finances depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017. Auparavant, Bruno Le Maire avait déjà occupé plusieurs fonctions ministérielles, notamment celle de ministre de l’agriculture de 2009 à 2012.