Dans la conclusion de son livre, à la dernière page, Sandrine Rousseau, écrit, en parlant de la gauche que « Nous devons prendre le chemin de la construction intellectuelle d’un récit radicalement innovant, du soutien aux luttes sociales, écologistes et sociétales et de la solidité politique sur le long terme ». Cette ambition peut résumer tout son livre et marque une rupture avec le discours souvent porté par Sandrine Rousseau dans les médias. Celle-ci est devenue une personnalité médiatique grâce à ses petites phrases et punchlines. On aime ou on déteste (ou plutôt on adore détester) Sandrine Rousseau et ses sorties polémiques. Mais justement, ce livre va plus loin. Oui, la députée écologique écrit quelques phrases chocs, mais offre surtout un argumentaire bien construit, -que l’on peut approuver ou non-, mais qui donne de la hauteur à ses idées. On ne peut que regretter la médiocrité des entretiens donnés dans les médias. Sandrine Rousseau est une chercheuse, et bien que l’on puisse ne pas être d’accord avec toutes ses positions, elle présente des arguments construits, qui se basent sur des sources reconnues. On peut cependant regretter, à certains passages, des propos relativement confus, qui ne permettent pas de délivrer un message clair.
Dans son essai, la députée de Paris n’hésite pas à se dévoiler à parler de ses parents et grands-parents qui ont vécu le succès des Trente Glorieuses, période qui est au centre de son récit. Les petites phrases ne sont pas absentes de son livre, et certains passages peuvent paraître polémiques, voir presque racistes lorsqu’elle rapporte les propos de certaines personnes de sa famille concernant les Pieds Noirs.
Dans son introduction, Sandrine Rousseau revient sur l’imaginaire associé aux Trente Glorieuses, et la nécessité d’en sortir en proposant un changement de société.
Commence alors la première partie de son essai, intitulée « Aux origines de la nostalgie et de l’enfermement ». Elle s’attaque alors aux sources des sciences économiques à travers les théories d’Adam Smith et David Ricardo, mais surtout celles de l’école néoclassique. Non, l’économie n’est pas sans limites, la croissance ne peut être sans limites, celles de la Terre. Elle regrette que la nature ait été reléguée comme une donnée désuète avec la Révolution industrielle. Elle formule aussi une critique forte de Jean Fourastié et de son analyse des Trentre Glorieuses ainsi que de son technocentrisme. Sandrine Rousseau reconnait les transformations qu’ont apportées ces Trente Glorieuses qu’elle qualifie de « période de mutation sans précédent ». Mais la croissance de cette période est exceptionnelle, l’ensemble des conditions sont extraordinaires, et donc ne peuvent se répéter. Pour Sandrine Rousseau, la recherche d’une croissance économique à tout prix, et notamment au prix de la destruction de notre environnement est vaine. Les limites n’étaient alors pas envisagées, contrairement à aujourd’hui.
Son deuxième chapitre aborde notamment l’aménagement du territoire qu’a été adopté durant les Trente Glorieuses, avec la priorité donnée à la voiture ainsi qu’à la maison individuelle. Elle enchaine alors sur les trente « inglorieuses » avec la montée du racisme, la dépendance au pétrole ou la place des femmes.
Commence alors la seconde partie de son livre « Crise de modèle et crise de sens ». Avec la fin des Trente Glorieuses et les deux chocs pétroliers, des voix dissonantes se font entendre à travers les premières associations environnementales, mais très vite arrivent le tournant de l’austérité et la perte de sens dans le service public.
Dans son cinquième chapitre, Sandrine Rousseau étudie le manque de redistribution de notre société post-Trente Glorieuses, elle réfute aussi le concept d’un développement durable, puisqu’elle croit à la finitude de nos ressources. Elle regrette aussi que la nature ne soit pas prise en compte dans le PIB, parce que le calcul actuel encouragerait une surconsommation au détriment de notre environnement. Cela l’amène à critiquer aussi l’idée d’un progrès (sous-entendu technologique), et à revenir sur le concept même de productivité qui invisibilise, selon elle, la notion de qualité. Elle écrit ainsi « Une économie insérée dans les limites planétaires devra sûrement se penser autour de l’artisanat que de l’industrie », et propose donc un « small is beautiful ». Une autre notion qu’elle veut challenger est celle d’environnement, elle lui préfère la nature et la notion de « One health », car nous somme nous aussi partie de ce tout.
Sandrine Rousseau continue alors avec une troisième partie dans laquelle elle déconstruit les périls qui nous feraient face. Pour elle, la société française est prête à prendre le virage de l’écologie. Sandrine Rousseau est certaine que la société est en train de changer et que les partis politiques, y compris les partis de gauche n’ont pas pris en compte ces évolutions. Elle regrette les discours du « c’était mieux avant », car non selon elle, ce n’était pas mieux avant, et donc s’oppose aux discours d’Emmanuel Macron sur la « décivilisation ». En prenant l’exemple de l’accueil des migrants à Saint Brévin, elle veut montrer que les problèmes viennent en grande partie d’une minorité d’extrême-droite, et non des habitants qui eux, sont plus ouverts, elle croit aux nombreuses initiatives venant de la base. Pour cela, Sandrine Rousseau cite à plusieurs reprises « La France des valeurs » (sous la direction de Pierre Bréchin) qui montre que la population française a finalement peu de préjugés que ce soit sur l’immigration, la religion, l’homosexualité, et donc par extension, les Français seraient prêts au virage écologique porté par Sandrine Rousseau. Néanmoins, l’un des freins à ces changements reste ce qu’elle appelle un ordre social masculin qui entraine l’impunité des violences sexuelles.
Dans un autre chapitre, elle aborde directement nos rapports avec les animaux et les impacts de la consommation de viande sur notre environnement. Mais là aussi, elle montre que les choses sont en train de changer : il y a ainsi plus de végétariens que de chasseurs!
Sandrine Rousseau écrit aussi sur le « droit à la paresse » ou plutôt à prendre son temps, et pour elle, cela passe par une libération du capitalisme, ce sont les règles sociales, le sens qui doivent encadrer le travail.
Et c’est donc sur le sens qu’elle finit son essai. Comment fait-on pour redonner un sens à nos vies ? Pour Sandrine Rousseau, cela passe par plus de collectif et de démocratie. Oui, il y a des attentes énormes en termes de démocratie, pour sortir, enfin, des Trente Glorieuses, et de la croissance.
Cet essai a le mérite d’exposer la pensée de Sandrine Rousseau, qui n’est pas inintéressante et beaucoup plus complexe que ce qui nous est montré dans les médias. On y découvre en fait une femme optimiste qui a de réelles valeurs. On peut regretter cependant, qu’à certains moments, Sandrine Rousseau, joue la carte de la victimisation lorsqu’elle ou ses amis sont critiqués.
Son analyse des Trente Glorieuses sonne juste, cependant, il y a un point qu’elle ne traite pas, à dessein?, c’est celui de la transformation démographique. Si elle n’en parle pas c’est qu’elle sait que la fin des Trente Glorieuses signifie aussi la fin de notre système actuel de retraite, qui n’est pas soutenable, avec une croissance démographique en berne. Adieu la retraite à 60 ou 62 ans.
On ne peut qu’être d’accord sur le constat qu’elle fait sur les Trente Glorieuses qui auront été une « anomalie historique », et qu’il sera difficile de renouer avec une croissance comparable. Pour Sandrine Rousseau, c’est tout le système qu’il faut changer, pour créer plus de lien, plus de participation, moins de temps de travail, plus de sens. Mais est-ce vraiment possible avec moins de moyens ? Comment faire, lorsque les autres pays, et parfois pas les plus démocratiques, investissent encore plus dans les technologies ? Pouvons nous nous permettre de rester à l’écart d’une compétition mondiale, qui pourrait si nous la perdons, nous faire décrocher ?
On peut aussi s’interroger réellement sur la finitude de nos ressources. Est-ce que les technologies ne nous permettront pas d’être plus sobres ? ou d’exploiter des ressources de manière plus propre ?
Oui, nous sommes dans une société de consommation, et même de surconsommation, mais une rupture serait-elle envisageable ? Sandrine Rousseau prône à plusieurs reprises une radicalité. Elle devrait faire attention aux personnes qu’une radicalité amènerait au pouvoir. On peut ainsi regretter que dans ce livre, ses propos peuvent paraître lointains à la majorité des Français. Qui veut-elle toucher dans cet essai, sinon les personnes déjà convaincues ?
ROUSSEAU, Sandrine. Ce qui nous porte. Paris: Editions du Seuil, 2024, 288 p.
Sandrine Rousseau est députée de Paris depuis 2022. C’est l’une des femmes politiques les plus médiatiques au sein des Ecologistes.