A l’occasion des cinquante ans de la mort de l’ancien Président de la République Georges Pompidou, David Lisnard et Christophe Tardieu lui consacrent un livre. Il ne s’agit aucunement d’une biographie comme le préviennent les auteurs mais d’une analyse de son œuvre en lien avec les idées politiques que défend David Lisnard. Les auteurs ont déjà collaboré pour l’essai « La culture nous sauvera » en 2021.
Leur livre est divisé en neuf parties thématiques et non chronologiques. C’’est assez naturellement que la première partie de l’essai est consacré aux relations entre le Général de Gaulle et Georges Pompidou. Cette association montre à quel point la figure de Pompidou est méconnue par rapport à celle de Charles de Gaulle pour ma génération. Comme beaucoup de Français nés à partir des années 1980, je ne connais pas bien la politique et les réalisations de Georges Pompidou, alors que celles de de Gaulle, me sont plus familières. Cette première partie est très intéressante car elle montre toute la confiance que le Général avait pour Georges Pompidou, mais aussi que ce dernier ne s’orientait pas spécialement vers la politique. Il a longtemps préféré son poste, bien rémunéré, à la Banque Rothschild, le Général devra le convaincre de le rejoindre. Pour les auteurs, il n’y a pas eu de rivalité entre ces deux grands hommes. George Pompidou était bien conscient que le Général resterait à tout jamais celui qui a sauvé la France. De son côté, le Général ne pouvait imaginer un successeur. Les deux ont été complémentaires, et Pompidou a reçu de Charles de Gaulle le goût de l’action.
C’est Gaston Palewski, directeur de cabinet du général de Gaulle qui l’engage comme chargé de mission. Remarqué par de Gaulle, il devient chef de cabinet en 1948, mais ne s’engage pas politique au RPF pour autant. En 1958, Pompidou est nommé directeur de cabinet à Matignon et va s’attaquer au dossier de la révision constitutionnelle. Son efficacité est remarquée par tous. Mais en 1959, au lendemain de l’élection de De Gaulle, George Pompidou retourne à la banque, même si le contact avec l’Elysée se maintient. Après la fin de la guerre d’Algérie, le Général de Gaulle lui demande de devenir son Premier ministre : Pompidou accepte. Il est alors inconnu des Français. C’est à ce moment, et jusqu’en 1965, que va se faire la répartition suivante : l’international pour le Président, et les affaires internes pour le Premier ministre.
Pompidou est toutefois surpris quand de Gaulle annonce sa candidature pour un nouveau mandat en 1965, et pense que le Général se retirera avant la fin de celui-ci. C’est avec mai 1968 que la rupture entre les deux hommes de manifeste. Pompidou est l’homme de la situation, il garde son calme : son objectif est d’éviter les violences. Mais il est déçu que de Gaulle ne l’ait pas prévenu de son séjour éclair à Baden-Baden. La confiance est rompue. Après les élections de juin 1968, remportées par le parti présidentiel, George Pompidou remet sa démission et est remplacé par Maurice Couve de Murville. Mais c’est l’affaire Marković, en septembre 1968, qui incrimine injustement l’épouse de George Pompidou qui va sceller la désunion entre de Gaulle et Pompidou. Le général ne voit pas que cette histoire très farfelue touche Pompidou dans ce qu’il a le plus cher, et donc il ne s’en préoccupe pas. Lisnard et Tardieu parlent d’« une erreur psychologique commise » par Charles de Gaulle. Leurs relations en seront changées à jamais.
Après le référendum constitutionnel d’avril 1969, où le non l’emporte, de Gaulle remet sa démission et George Pompidou annonce sa candidature à la présidence de la République.
La deuxième partie, intitulée « les institutions et le rôle de l’État », montre le rôle majeur qu’a tenu Georges Pompidou dans la construction et l’application des institutions de la 5e République, lorsqu’il suit les travaux menés par Debré, puis comme Premier ministre et Président. C’est dans cette partie que David Lisnard et dans une moindre mesure Christophe Tardieu présentent certaines de leurs idées sur le poids de la bureaucratie en France. Pompidou s’élève contre la lourdeur administrative qui crée de l’injustice. Pour les auteurs, Pompidou était plus attaché à « liberté » qu’au « progrès » contrairement à de Gaulle, et cela doit être l’une des raisons pour lesquelles ils se sont consacrés à la rédaction de cet ouvrage.
Pour Pompidou, le pouvoir est d’abord une question de confiance. Gouverner, c’est mérité la confiance de ses administrés. On ne peut gouverner par la ruse. Sa position sur un possible quinquennat a changé avec le temps. Il est tout d’abord hostile à un mandat présidentiel de cinq ans qui ferait converger les élections présidentielles et législatives. David Lisnard partage cette opinion et regrette la décision prise par Jacques Chirac. Mais dans les derniers mois de sa vie, George Pompidou semble préférer le quinquennat qui décharge en partie le poids des responsabilités qui pèse uniquement sur les épaules du Président.
Les auteurs s’intéressent par la suite à la politique étrangère menée par l’ancien Président. Il est difficile de succéder au Général de Gaulle, l’homme de la victoire de 1945, dans ce domaine, mais George Pompidou reste fidèle aux grandes lignes tracées par son prédécesseur. Cependant, Pompidou est partisan de l’adhésion du Royaume-Uni au Marché Commun pour rééquilibrer l’Europe face à un éventuel rapprochement germano-soviétique favorisé par l’Ostpolitik menée par Willy Brandt. Il utilise les négociations sur l’adhésion du Royaume-Uni pour sécuriser les intérêts français sur le dossier de la Politique Agricole Commune. Mais Pompidou veut avant tout une Europe des nations, et David Lisnard semble partager cette opinion, contre une Europe plus technocratique. Il ne croit pas à une nation européenne et considère un projet fédéral européen comme « une pure blague ». Sur les institutions européennes, Pompidou pense que la Commission ne peut avoir qu’un rôle de coordination et d’exécution. Rien de plus. S’il semble tiède sur la construction européenne, il se révèle favorable à une politique monétaire européenne afin de limiter la compétition entre Etats européens.
Quant aux relations avec les Etats-Unis, celles-ci ne sont pas très bonnes sous Georges Pompidou, et la diplomatie française fait plutôt pâle figure. Cela ne veut pas dire cependant que Pompidou se rapproche de l’URSS où il se rend en 1971. Pompidou est avant tout un pragmatique comme l’aiment à le rappeler les auteurs.
Le chapitre suivant aborde la politique industrielle et économique de George Pompidou. Les auteurs semblent plus à l’aise sur ce sujet. La grande différence avec d’autres hommes politiques français, est que Georges Pompidou a une expérience du secteur privé, il sait de quoi il parle, veut faire de la France une grande nation industrielle et réussit son objectif. Le mandat de Pompidou correspond à la fois à une expansion économique sans précédent et ainsi qu’à une rigueur budgétaire, ce sera sous Pompidou que le budget du pays sera pour la dernière fois à l’équilibre. Le président n’est pas adepte d’une idéologie économique précise, mais plutôt du bon sens. La lutte contre le protectionnisme, la libre concurrence sont au cœur de la politique économique menée par Georges Pompidou. Mais il n’est pas totalement libéral non plus, il n’abandonne pas la rédaction de plans, mais ceux-ci ne doivent être qu’indicatifs. Mais c’est la bureaucratie, qui crée des coûts pour les entreprises que Pompidou voudrait combattre, comme David Lisnard aujourd’hui.
Sous Pompidou, la France s’industrialise. Le Président a ainsi remporté son pari. La prospérité de la France, sa puissance, dépendent de son industrie, le pays ne saurait n’être qu’une belle endormie.
Les auteurs explorent aussi la politique sociale conduite par Georges Pompidou. Ils regrettent que son bilan social ne soit pas assez reconnu. En 1958 et 1978, le revenu par habitant a doublé. Des outils, comme l’ANPE, sont créés. Mais l’une des mesures les plus importants, et qui semble totalement naturelle aujourd’hui, est la mensualisation des salaires des ouvriers, qui permet le paiement des jours fériés.
Concernant le dialogue avec les acteurs sociaux, Georges Pompidou aura pour politique de chercher à éviter les conflits et promouvoir, pas toujours avec succès, des négociations collectives.
Le sixième chapitre aborde les liens entre George Pompidou et « les territoires ». Non, l’ancien Président n’était pas qu’un parisien évoluant dans un cercle d’happy few, mais cultivait des relations fortes avec la campagne, notamment son village natal de Montboudif dans le Cantal. La politique de Pompidou va allier l’aménagement du territoire pour permettre le développement dans toute la France à la protection de l’environnement. Il favorise le développement de nouveaux pôles pour permettre un rééquilibrage entre Paris et la province. Il participe aussi à la réforme de l’agriculture, tout en sauvegardant les paysages français,- il s’oppose ainsi aux grandes exploitations à l’américaine-. Pour les auteurs, Pompidou manifeste ainsi une forte conscience écologique.
Les auteurs continuent leur portrait en étudiant la place de l’éducation dans la vision pompidolienne. Enseignant de 1935 à 1944, George Pompidou n’a cependant la vocation. Après 1968, il sait que l’éducation doit changer, notamment parce que le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur a augmenté. Il n’est pas partisan d’un baccalauréat « obligatoire » et pense qu’une sélection doit s’opérer pour l’entrée à l’université. Pour lui, la priorité doit être donnée à des études courtes qui permettent une entrée rapide sur le marché du travail.
Un autre chapitre s’intéresse au lien entre le Président et la culture. George Pompidou est connu pour avoir fait entrer l’art contemporain à l’Elysée. On apprend que Pompidou était un très grand lecteur, mais qu’il était aussi écrivain. Les deux auteurs citent très souvent « Le nœud gordien », essai rédigé par l’ancien Président. Mais Georges Pompidou a aussi écrit une anthologie de la poésie française. Durant toute sa carrière, il est très proche du milieu littéraire et artistique. Il est à l’origine d’un des musées les plus emblématique de Paris : le centre Beaubourg, qui est en fait plus qu’un musée, tel qu’il le désirait. Sous Pompidou, la culture française connait un certain essor dont la renommée dépasse les frontières et contribue ainsi à la puissance du pays.
Enfin, le dernier chapitre de « Les Leçons de Pompidou » évoque les croyances de Pompidou, sa vision de la civilisation. Catholique, Pompidou s’interroge sur les besoins spirituels de l’Homme que la société de consommation ne saurait remplir. Pour lui, l’Homme a besoin de beauté, et donc les paysages de la campagne doivent être préservés, il va ainsi être à l’origine du premier ministère de l’environnement en 1971. L’idéal défendu par Pompidou, n’est pas celui des technocrates mais des politiques qui portent une vision. La liberté est la première valeur défendue par Georges Pompidou, et David Lisnard veut s’inscrire dans la continuation de l’ancien Président.
On peut se demander pourquoi David Lisnard, et Christophe Tardieu, se sont penchés sur le cas « Pompidou ». Tout d’abord il y a le fait qu’il reste l’un des présidents les moins connus de la 5e République, et que des leçons peuvent être tirées de sa carrière politique. David Lisnard, à la tête de « Nouvelle Energie » veut s’inscrire dans les pas de Pompidou. Il partage ses valeurs et combat lui aussi la trop grande bureaucratie que connait la France. Comme Pompidou, David Lisnard croit au marché, et est relativement libéral.
Mais David Lisnard prend un risque en mobilisant la mémoire d’un Président qui ne « parle » pas à la population française, en dehors des plus de 60 ans. En évoquant les relations avec le Général de Gaulle, les auteurs tentent de rassurer leurs lecteurs qui connaissent mieux cette figure historique. Sous Georges Pompidou, la France connait la prospérité, une modernisation comme jamais alors elle n’avait eu, avec des inventions qui ont marqué le pays. Mais il s’agit de la période des « Trente Glorieuses ». Oui, Georges Pompidou s’est montré à la hauteur, et a pris les bonnes décisions. La France connait alors de bons résultats, tout comme la RFA et les autres Etats d’Europe occidentale. Pour des raisons de cycles économiques et de démographie, la France de 2024, n’est pas celle des années 1960 et 1970. Les solutions adoptées par George Pompidou ne sont peut-être pas celles qui conviennent à notre pays aujourd’hui.
On peut tout de même noter qu’il s’agit de la part de David Lisnard d’une certaine preuve de liberté et d’indépendance, d’écrire sur un Président qui n’est pas resté, -on peut le regretter-, dans la mémoire des Français. Il s’agit peut-être aussi d’un message envoyé auprès des électeurs de droite qui dirait que comme Georges Pompidou, David Lisnard ne cherche pas tant à marquer par sa personnalité, mais à renouer avec un hypothétique « âge d’or » et à continuer le lutter engagée par George Pompidou contre la bureaucrate dont souffre le pays.
LISNARD, David, TARDIEU, Christophe. Les leçons de Pompidou. Paris: Editions de l’Observatoire, 2024. 285 p.
David Lisnard est maire de Cannes, il est aussi le président de l’Association des maires de France depuis 2021. David Lisnard est à la tête du mouvement « Nouvelle Energie ».
Christophe Tardieu, haut fonctionnaire, est secrétaire général du groupe France Télévisions et PDG par intérim de TV5 Monde.