« Vers la guerre ? La France face au réarmement du monde », par Sébastien Lecornu, ministre des Armées, chez Plon. Une œuvre ambitieuse qui présente les menaces qui pèsent sur la France et la stratégie à adopter pour y faire face.
La première impression qui se dégage de ce livre est celle du sérieux de Sébastien Lecornu à sa tâche. On peut se sentir rassuré d’avoir un ministre si investi dans cette période trouble et nous pouvons comprendre pourquoi il a été reconduit dans ses fonctions par Michel Barnier.
Mais, en même temps, nous ne pouvons qu’être inquiets face aux défis importants auxquels la France et son armée doivent faire face. Comme il écrit dans son dernier chapitre, nous ne sommes plus en paix et il faut nous préparer à un rapport de force durable avec la Russie. Cela doit remettre en perspective nos priorités. Ma génération a toujours connu la paix, mais cela peut changer, cela change déjà avec l’Ukraine. Mais une accélération est possible, et même très probable si l’on en croit Sébastien Lecornu. Et pour cela, nous devons nous réarmer, c’est le message de ce livre. Bien sûr ce n’est pas très populaire, surtout à l’heure des éventuelles restrictions budgétaires, mais nous ne pouvons pas y couper, c’est la condition à notre indépendance. Nous ne pouvons qu’espérer, que nous ne referons pas les mêmes erreurs que dans les années 30, il y va vraiment de la survie de nos valeurs. Oui, Sébastien Lecornu adopte un ton grave dans son essai, et nous ne pouvons que le partager. La défense doit être notre priorité.
Dans une première partie, Sébastien Lecornu présente l’histoire contemporaine des armées françaises, de 1945 à 2022 avec les crises de la Guerre d’Indochine, la Guerre d’Algérie, et la crise de Suez qui nous ont fait prendre conscience de nos limites. Ce qui a poussé le Général de Gaulle à chercher une indépendance et une autonomie à travers l’arme nucléaire, clef de voute de notre système de défense.
La deuxième partie de son essai est consacré aux nombreuses menaces auxquelles la France doit faire face. Il revient d’abord sur le principe de la dissuasion nucléaire française, et sa dimension européenne, telle que présentée dès 1964 par le Général de Gaulle, comme arme d’emploi, de dernier recours. Il revient alors sur les nouvelles menaces, pas toujours étatiques, comme le terrorisme, les proxys (Houthis ou Wagner). Sébastien Lecornu présente aussi l’ensemble de nos intérêts qu’ils soient vitaux ou non, notamment en outre-mer , ou encore nos différentes bases dans le monde (il s’interroge sur la nécessité de les préserver en Afrique). Il finit cette partie en présentant un nouveau danger, celui pour les démocraties d’être défaites sans combattre, à travers les guerres hybrides, le cybercombat ou encore la militarisation de l’espace. Si nous n’agissons pas, un déclassement de notre puissance est possible.
La troisième partie tente de répondre à la question suivante : sommes-nous prêts pour répondre à ces menaces ? Pour lui, nos capacités restent insuffisantes si les crises durent longtemps et sont concomitantes. Il nous faut aussi mieux financer l’innovation, et réfléchir à notre sécurité avec nos partenaires européens, notamment en cas de victoire de Donald Trump. Son septième chapitre est dédié à la transformation de nos armées et sur le besoin de simplification mais aussi de la création d’infrastructure numérique hybride, comme l’a montré le cas de l’Ukraine. Il évoque ensuite les révolutions auxquelles l’armée de terre doit faire face, à savoir, celle de défendre la France mais aussi l’Europe, le développement de la guerre cyber, et l’importance des drones dans les prochains conflits (un point partagé aussi par la marine et l’armée de l’air). Son chapitre suivant est consacré à l’industrie de la défense dans notre stratégie militaire. Impossible d’être indépendant sans exportations. La question des délais de livraison est importante pour nos clients, il est donc nécessaire de travailler à leur réduction en augmentant nos capacités et à entrer vraiment dans une économie de guerre. Cette nécessité d’exporter a bien été comprise par Jean-Yves le Drian, mais Sébastien Lecornu note, que paradoxalement, c’est en dehors de l’Europe que la France trouve ses meilleurs clients (et nomme notamment l’Arabie saoudite, partenaire « incontournable dans la région ». Sébastien Lecornu aborde aussi la question de l’innovation. Si le conflit en Ukraine a montré l’importance de la rusticité de certains matériels, il est néanmoins nécessaire de continuer à investir en raison de la compétition avec le reste du monde. Notre ministre note que l’innovation se fait maintenant de plus en plus du civil vers le militaire (alors que c’était l’inverse par le passé). Pour lui l’intelligence artificielle et les technologies quantiques pourraient être décrites comme la quatrième révolution après celle de l’imprimerie, de l’électricité et de l’atome. Impossible de ne pas y investir pour rester compétitif. Son essai traite aussi du renseignement, Sébastien Lecornu note que l’espionnage est à la fois politique et industriel, et qu’il faut s’attendre à des attaques de plus en plus subtiles en raison des deepfakes.
Il finit cette partie avec la nécessité d’être cohérents entre notre diplomatie et nos capacités militaires. Nous devons avoir les moyens de nos déclarations. Il illustre son propos avec les positions de la France concernant la Moldavie et l’Arménie.
Dans une quatrième et dernière partie, Sébastien Lecornu insiste sur le fait que la défense nationale est une affaire politique. Il revient tout d’abord sur les concepts d’autonomie stratégique et de souveraineté, et qualifie de caricatural le débat porté par Jean-Luc Mélenchon sur l’OTAN. Pour lui il y a une complémentarité entre l’Union Européenne et l’OTAN. Il regrette un manque de connaissance concernant la défense dans la société française, et affirme que l’armée n’est pas une béquille. Nos soldats n’ont pas à ramener l’ordre dans les quartiers, ce n’est pas leur mission. Cette dernière est plus grande, et va jusqu’au sacrifice de la vie de nos soldats. Il regrette aussi que l’armée (et son coût élevé, il le reconnait), est souvent vue comme, une variable d’ajustement, et qu’il existe des rivalités au sein même de l’armée. Mais il remercie le président macron pour avoir fait du réarmement un élément majeur de son bilan. Il faudra tout de même réfléchir à un nouveau modèle économique pour continuer les investissements afin de répondre aux dangers toujours plus grands.
En lisant cet essai, on comprend que la France offre une position particulière en Europe en matière de défense grâce à sa puissance nucléaire qui fait d’elle une nation entièrement indépendante et autonome, -on ne peut que remercier la clairvoyance du Général de Gaulle-. Mais cela ne suffit pas. Il nous faut continuer à nous réarmer et à renforcer nos partenariats en Europe et ailleurs. Ce livre, très complet, peut faire peur, en raison des multiples menaces évoquées. Mais le plus grand danger est que nous nous déclassions nous mêmes faute d’investissements. Nous voyons avec la guerre en Ukraine, que nous Français et Européens avons du mal à réagir correctement. Sébastien Lecornu nous alerte que ce type de crises ne fera que se répéter et s’intensifier. Soyons prêts.
Un livre majeur, qui définit ce que devraient être nos priorités pour les prochaines années.
Sébastien Lecornu est ministre des Armées et des Anciens Combattants depuis mai 2022. Il était auparavant ministre des Outre-mers.