Cette publication fait suite à un rapport parlementaire rendu en 2023 sur la branche « Accident du Travail – Maladies professionnelles de la Sécurité sociale., certains extraits du rapport sont inclus dans le livre ».
Il s’agit d’un essai en trois parties, dans lequel François Ruffin présente tout d’abord les causes du Mal-Travail en France, puis ses coûts cachés, et enfin de possibles solutions pour sortir de cette situation.
François Ruffin commence par un constat : si les Français sont attachés à la valeur « travail », ils n’aiment pas l’évolution de celui-ci qui a conduit à une politique de low cost. En s’appuyant sur des études récentes européennes, il présente une France à la traîne par rapport à ses voisins européens, notamment d’Europe du Nord sur les questions de bien-être au travail. Les vocations sont détruites à cause de l’augmentation des contraintes et des risques, mais aussi parce que chaque action est chronométrée.
Pour François Ruffin, cette détérioration est causée par la recherche à tout prix d’une diminution des charges sociales. Face à la globalisation, la France a fait le choix de se positionner en milieu de gamme en réduisant les coûts, conduisant ainsi au développement d’un « low cost à la Française » qui se traduit notamment par une plus grande flexibilité du travail. L’essor des CDD, de l’intérim ou encore de l’auto-entreprenariat, participe à ce mal-travail, avec un développement des accidents du travail mais aussi de risques psychologiques importants pour les travailleurs. Le livre dénonce aussi les principes du lean management, ou la gestion du travail et de la production, sans gaspillage, sans temps mort. Mais ce management, au plus juste, supprime les pauses, les interactions entre les travailleurs. François Ruffin cite les propos de certains salariés qui craignent de n’être plus que des robots. Il n’y a plus de temps de respiration, ce qui conduit au burn-out, mais aussi à des accidents du travail, ou tout simplement à une usure des corps. François Ruffin indique que la France est particulièrement adepte du lean management, avec peu de consultation des salariés. Et, c’est là que le sous-tire du livre « le Choix des élites » entre en piste, une gestion souvent hors sol qui est décidée par des planneurs (ou planeurs ?), ingénieurs issus des grandes écoles, qui ne connaissent pas les réalités et imposent des process qui ne satisfont ni les travailleurs ni les usagers. Il prend ainsi l’exemple d’une cimenterie où la santé des salariés est dégradée en raison de nouvelles règles environnementales. Ni les salariés, ni les syndicats ne sont consultés.
Cette manière de travailler à un coût, c’est ce que François Ruffin aborde dans la deuxième partie de son livre. Les salariés sont fatigués, usés, de plus en plus d’inaptes. Faute de chiffres officiels, il estime que près de 200 000 travailleurs sont déclarés inaptes chaque année ! Les accidents sont aussi plus nombreux, et plus grave encore, ils ne sont pas toujours déclarés. François Ruffin prend l’exemple d’une entreprise où un jeu de bingo est mis en place pour inciter les salariés à ne pas déclarer leurs accidents du travail, pour des primes cinquante euros !
Le travail peut aussi causer des cancers, mais certaines pathologies sont « hors tableau », elles ne sont donc pas considérées maladies professionnelles. Ces coûts sont aussi psychologiques, qui eux aussi ne sont pas reconnus.
Face à ces problèmes de santé des travailleurs, François Ruffin regrette que le gouvernement fasse « la chasse aux arrêts maladie » et donc ne s’attaque pas aux racines du problème.
Il note que c’est justement dans le secteur médical que les problèmes de santé des travailleurs se font le plus prégnant. La politique du chiffre, accompagnée de multiples réformes, ne fait qu’amplifier ce mal-travail. On continue à privilégier la quantité sur la qualité. Avec une charge de travail qui augmente, plombée de surcroit par une plus forte gestion administrative.
Dans une dernière partie, probablement la plus politique, François Ruffin dresse les mesures à adopter pour sortir du Mal-Travail. Parmi ces mesures, François Ruffin demande un renforcement de la médecine du travail ainsi qu’un retour des CHST (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Et plus de contrôles ! Mais, plus globalement, le message de Ruffin est que les Français puissent vivre de leur travail, et « pas seulement en survivre ».
Sa conclusion est un appel à faire ensemble et à ne pas voir la montée du Rassemblement National, qui selon lui ne propose rien sur le travail, comme une fatalité. Pour lui la gauche n’a pas rempli son rôle pour défendra la classe moyenne la moins aisée, et doit combattre le travail low cost avec les Français. Plus de démocratie au travail, c’est aussi plus de démocratie tout court. Les travailleurs doivent être ainsi plus nombreux à rentrer dans les CA, pour faire remonter les préoccupations des salariés, mais aussi pour améliorer le management.
François Ruffin est tout à fait légitime pour parler des conditions de travail notamment depuis la réalisation de son documentaire « Merci patron » en 2015. Son style est accessible et s’il utilise de nombreuses références à des travaux universitaires, son essai est aussi ponctué de témoignages de travailleurs confrontés à cette situation de mal-travail. Ces exemples il les prend dans sa région, la Picardie, une terre confrontée à un déclassement des Français moyens qui se traduit par une affection toujours plus forte vers le Rassemblement National. L’ensemble est très convaincant et l’on ne peut que regretter cet essor du travail à low cost. Oui, le constat dressé par François Ruffin semble réaliste, et traduit un besoin fort de revoir le management du travail à la française. Comment faire pour que les salariés ne viennent plus avec la boule au ventre au travail, que le travail pèse sur leur santé physique et psychique ? Ces problèmes sont réels et on peut tous voir une dégradation des conditions de travail notamment dans l’intérim, la sous-traitance ou l’auto-entreprenariat. Ces préconisations paraissent justes : oui les travailleurs doivent être mieux associés à la prise de décision, et la France souffre d’une trop grande attention donnée aux « planneurs ». Et c’est peut-être là que nous avons besoin de plus de flexibilité.
François Ruffin a raison aussi lorsqu’il dit que le low cost à la française a mis en danger la santé des travailleurs. Cette stratégie n’est pas soutenable, ni socialement, ni économiquement. Il y aura toujours des pays avec des salariés moins bien payés et moins bien protégés, malheureusement. Rogner sur les salaires et les mesures de protection du travail n’est clairement pas la solution.
Malheureusement, François Ruffin ne fait qu’effleurer une cause majeure de ce mal-travail, c’est le développement d’une bureaucratie omniprésente dans tous les secteurs, et notamment dans médical. Oui, il faut des règles pour protéger la santé des travailleurs. Mais les process doivent être légers pour 1) inciter les entreprises à les suivre, 2) regagner la confiance des travailleurs.
Si les élites françaises ont comme l’affirme François Ruffin noué un pacte contre le travail, c’est peut-être aussi parce ce que cela c’est toujours fait sans véritable coopération, chaque partie restant campée sur ses positions. On peut aussi se demander ce qui a empêché la société française d’appliquer un autre modèle que le low cost ? Y-a-t-il d’autres freins à l’innovation en France ?
« Mal travail, le choix des élites » reste un ouvrage extrêmement intéressant sur la condition des travailleurs aujourd’hui en France, et dont j’espère, le constat doit être partagé par l’ensemble de la classe politique.
RUFFIN, François. Mal travail, le choix des élites. Paris: Les lien qui libèrent, 2024. 224 p.
Journaliste, essayiste, Français Ruffin est député de la Somme depuis 2017. Il siège à l’Assemblée nationale au sein du groupe La France Insoumise.